lundi 22 novembre 2010

fiche de lecture de l'étrange défaite





L’étrange défaite de M. Bloch



Professeur d’histoire, l’auteur capitaine dans l’infanterie à la fin de la grande guerre, évoque dans son ouvrage la campagne de France de mai juin 1940. Il a été écrit de juillet à novembre 1940. Arrêté en 1944 pour fait de résistance au sein du réseau « Franc tireur », il est fusillé le 16 juin 1944.
Il est titulaire de 4 citations en 1914 1918 et une citation en 1942.

PLAN DU LIVRE
I Présentation du témoin
II La déposition d’un vaincu
III Examen de conscience d’un français
Chapitre I Présentation du témoin :
L’auteur se définit comme un historien, un combattant et un citoyen.
Il sert dans un état major en 1940.
Sa connaissance de l'histoire lui permet d’analyser dans le détail les raisons de la défaite .
La lenteur avec laquelle la France se met en état de guerre l’impressionne .
Capitaine de réserve, il est affecté à l’état-major de la I ère armée comme officier de liaison auprès des forces anglaises du British Expeditionnary Force. Il sert finalement au bureau logistique et devient, sans aucune préparation, chef du service ravitaillement essence de l’armée française la plus motorisée …
Il est frappé de voir l’absence de renseignements sur les dépôts belges alors même que cette armée pourrait franchir la frontière pour se porter en avant de l’ennemi.
Son« dynamisme » pour se renseigner et organiser un tel mouvement est vite tempéré par ses supérieurs .
Le 10 mai 1940 est un véritable coup de tonnerre.
Dès le 20 mai, la I ère armée est encerclée dans le nord. Elle perd très vite tout espoir , songe à la capitulation dès le 28 mai et s’échappe vers la Grande-Bretagne en embarquant à Dunkerque.
L’auteur évite la capture à Rennes en troquant l’uniforme pour sa tenue de professeur d’histoire.
Il énumère ses observations sur le travail de son état-major, sur ceux qui y servent et cherche à apporter un témoignage pour comprendre cette défaite.
Chapitre II La déposition d’un vaincu :


Cette partie vise à analyser d’un point de vue strictement militaire les raisons du
drame.
qui est responsable de cette défaite ?
Le chef est responsable : Joffre le disait déjà à propos de la victoire de la Marne : « Je ne sais pas qui a gagné la bataille mais je sais qui l’aurait perdue ».
En 1940, l’incapacité du commandement apparaît clairement. Le commandement est un groupe humain et des méthodes de travail qu’il décrit.
La tête de cette organisation est composée de chefs brevetés issus de l’école de guerre. Ils ont, pour la plupart une endoculture qui les poussent à ne pas tenir compte des réalités.
Les officiers d’état-major apparaissent comme une caste. Ils ont du mal à appréhender les difficultés des niveaux subordonnés. Ainsi la méconnaissance des délais de transmission des ordres les pousse à appréhender la situation trop lentement et à donner les ordres trop tard.
Leur formation intellectuelle et l’absence d’un réel va et vient entre la troupe et l’étatmajor
créent un divorce profond entre leur champs de vision de et celui de la troupe.
Ensuite, ces chefs n’ont pas su penser la nouvelle guerre. La victoire allemande est d’abord une victoire intellectuelle. Les allemands ont fait une guerre de vitesse et nos chefs n’ont pas su ou voulu comprendre ce nouveau rythme. Le PC de la I ère armée
effectuait des bonds de 20 kilomètres. Les distances avaient changé par rapport à 1918.
De même le manque de cohérence est flagrant dans le choix même du plan français. La décision d’attaque en Belgique fut prise alors que la doctrine reposait sur la défensive. Au moment décisif, il leur a même manqué le courage de demeurer strictement fidèle à la doctrine.
Bien plus, une étonnante sclérose mentale a empêché l’analyse lucide des guerres d’Espagne et de Pologne .
Pendant toute la campagne personne ne savait où était l’ennemi. Les chefs étaient en constant décalage du fait du manque de réalisme dans les appréciations des vitesses et des distances. Même en disposant de renseignements précis, il leur fut difficile d’accepter la vitesse de l’ennemi. En fait, l’ennemi ne jouait pas le jeu !
La campagne fut donc une succession de surprises. Or les cerveaux étaient habitués à travailler trop lentement. Ils se sont laissés vaincre parce qu’ils pensaient être toujours trop en retard. Les rencontres avec l’ennemi avaient lieu avec une fréquence inattendue, croissante et angoissante. Si les allemands ont cru à l’action et à l’imprévu. Nous, nous avons eu foi en l’immobilité.
Cette carence intellectuelle est accentuée par les travers naturels des étatmajors se suffisant à eux même. La recherche de l’ordre bureaucratique provoque une perte d’efficacité. La régularité administrative entraîne très rapidement une certaine lenteur et un gaspillage d’énergie qui nuisent à la réflexion. Tout responsable doit conserver le sens aigu de l’initiative. Il ne doit pas être tiré en arrière par des taches mécaniques administratives. Un effort doit donc être fait pour les doter en sous-officiers.
Le grand cloisonnement de l’état-major a vite provoqué de profonds désordres:
Le B2 se limite à reconstituer l’ordre de taille de l’ennemi et ne redistribue pas correctement l’information. Ses bulletins de renseignement témoignent surtout du refus de s’engager pour ne pas se tromper.
Les bureaux sont des rivaux: le 3ème bureau est celui des « stratèges » et le 2ème entretient le culte du secret.
En fait, il n’y a pas un état-major mais une succession de chasses gardées. Vis à vis de nos alliés anglais, les liaisons ont été mal organisées vers le bas et au sein même du PC .
Avoir très vite déclaré que les anglais ont fait bande à part n’est qu’un paravent à nos
propres erreurs et à nos lenteurs. En fait les français les ont d’abord considérés avec une certaine condescendance. Par la suite notre lenteur et notre gaucherie les ont étonnés.
Une discipline trop formelle n’a pas crée cette forme de conscience professionnelle qui développe la confiance. L’armée allemande semblait plus proche de cette logique professionnel.
Le commandement n’a pas su mettre à profit les mois d’attente pour limoger comme en 1914. Il a manqué la rude main de Joffre. La défaillance de la troupe fut surtout le problème des cadres de contact. Les caractères étaient ankylosés. La mollesse héritée du temps de paix, la peur des histoires, le soucis de la diplomatie a dominé chez les hommes soucieux de leur avancement avant tout. Il fallait rajeunir la troupe et pousser ceux qui avaient du potentiel.
Enfin, quand les allemands portèrent les premiers coups le désarroi gagna très vite les hauts responsables. Ceux-ci se réfugièrent vite dans une paresse somnolente : « faites ce que vous voulez , mais faites quelque chose ! ». Dès le 26 mai la capitulation fut évoquée et en juin, le discours de Pétain a exclu trop rapidement l’idée même du dernier sacrifice.
Quand les allemands transgressèrent les règles du jeu prévu par nos états-majors , on crut tout perdu et on a laissé tout perdre.
La bonne réaction ne pouvait venir que d’un esprit apte à saisir rapidement la réalité, à improviser et à décider. Or notre enseignement trop formaliste n’y avait pas préparé les chefs. l’histoire est cette variété infinie de combinaisons . L’enseignement de l’école de guerre était trop mimétique : avant 1914, il cherchait à refaire les guerres de Napoléon et avant 1939, celle de 1918 !
Les souvenirs des combats de 1914 ont dominé les chefs de 1940. Ils ont cherché à répéter les méthodes de la victoire.
Même la campagne de Pologne et les huit mois d’attente n’ont pu ouvrir les esprits
car le commandement était constitué de vieillards. La création de deux nouveaux échelons hiérarchiques (généraux de CA et armée)les a protégés d’un départ trop rapide. Les anciens ont eu l’espoir des se perpétrer y compris dans leurs méthodes. Cette guerre fut donc une guerre de vieilles gens .

Chapitre III Examen de conscience d’un français :
La responsabilité de la défaite d’un pays ne peut incomber à un seul corps professionnel . Il convient donc aussi de chercher dans la société les causes d’une telle tragédie.

Au nom d’une fausse conception de la défense du civil, le pays a vu trop d’administrations démissionner pour préserver des biens. Ainsi, la décision de laisser ouvertes les villes de 20 000 habitants a signifié pour beaucoup que la résistance n’était plus nécessaire et ,bien plus, que les villages eux pouvaient être détruits. Les campagnes pouvaient bien mourir, la bourgeoisie était assurée de conserver ses biens !
La nation a perdu son puissant élan de 1914 qui plaçait chacun à égalité devant la mort. Pour une nation libre, il ne doit pas y avoir d’exemption devant le sacrifice. Cette idée a poussé notre pays à ne pas assez préparer les jeunes classes. Pourtant, la décision d’incorporer la classe 16 a sauvé l’armée française de la pénurie en effectifs. « Le pays a cédé aux conseils d’une pitié un peu molle ».
La nation n’a pas assez travaillé. La production des matériels de guerre ne
correspondait pas à une logique de guerre industrielle mais à une logique de
commerce. Les marchands ont continué à peu donner pour gagner encore des
bénéfices.
L’élan populaire fut le même en 1914 et en 1939. Il s’agissait de réagir à un allemand
qui demandait plus à mesure qu’on lui cédait. Le bon sens du peuple l’avait compris
mais la faiblesse du pays fut de ne pas avoir de hauteur de vue. Son étroitesse
d’âme l’a poussé ensuite à s’occuper surtout du pain du lendemain. Le courant pacifiste n’a pas compris que la guerre est différente suivant qu’elle est décidée ou qu’elle est imposée par un autre.
Le pays s’était contenté de plus en plus de connaissances incomplètes et d’idées peu lucides. La classe politique a refusé de renseigner le peuple et ceux-là même qui auraient dû l’éduquer furent envahis par la paresse au travail. La presse sert alors les intérêts égoïstes des factions et des élites . La France ne travaille plus. Elle sort du travail en conservant des forces pour s’amuser. De plus, la culture n’aide plus la décision ,elle est celle du plaisir .
Le système scolaire ne fait rien pour encourager l’initiative et développer la matière grise. Il se contente trop de faire passer des examens sans développer l’intelligence.
« Or un peuple suit parce qu’il est mis en transe ou parce qu’il sait. » La France regrettait la docilité des paysans mais n’a pas cherché à se lancer dans l’aventure du progrès et du développement de la machine.
En fait, 1940 est aussi la défaite de la volonté frileuse de préserver le monde de la petite ville La grande politique a manqué de cohérence. Le pouvoir refuse de voter des crédits
militaires suffisants mais réclame des canons pour sauver l’Espagne. Un régime parlementaire vit d’intrigues et ne parvient pas à effacer les factions. Or une chambre d’élus peut sanctionner et contrôler mais ne peut gouverner. Un tel système n’a donc pas la force de préparer la guerre car tout revient à des rivalitéspersonnelles qui brouillent les cartes de la nation. Il faut désormais adapter le pays à une ère nouvelle.
Or aujourd’hui, pour vaincre, il est indispensable de comprendre ce qui est surprenant et nouveau.
Enfin, la faiblesse du pays découle de l’écart croissant entre ses défenseurs et leur société. Ils reçoivent des ordres d‘un système qu’ils estiment corrompus, parfois à juste titre et sont convaincus que ce pays n’a pas la volonté de se défendre. Ce phénomène se renforce lorsque les officiers construisent un mur d’ignorance et d’erreurs générées par une absence de curiosité intellectuelle .
La défaite de la France devient alors un moyen d’écraser sous ses ruines un régime méprisé. Il est alors légitime de plier devant le châtiment que le destin envoie à une nation coupable.
La France a donc été minée par la léthargie intellectuelle des classes dirigeantes, par leur rancoeur égoïste qui privait le pays d’un grand dessein, par la gérontocratie, par le malaise d’une armée coupée de sa nation et plus grave par l’absence de ceux qui pouvaient le voir et le dire.
L’auteur invite alors à travailler dans la rage de la défaite en gardant à l’esprit qu’il faut savoir communiquer et instruire pour conduire des foules. Il veut encourager le peuple à la vertu car c’est bien là ce qui donne à la nation sa force et son identité française.
Commentaire du rédacteur :
Ce livre écrit en pleine occupation est un vibrant témoignage d'un républicain français.
L’auteur analyse en profondeur les causes de la défaite de 1940.
Il décortique les liens qui unissent la nation , son système politique et son armée. Il n’hésite pas à prendre position et à pointer les responsabilités en regrettant en permanence l’absence du grand souffle de 1914.
Le témoignage est encore d’actualité et semble parfois même décrire lestravers de notre système militaire, les faiblesse de notre société moderne poussée à la consommation matérielle, à la défense des droits et à la disparition des devoirs de l’individu.
L'officier y trouve un témoignage sur les dysfonctionnements internes d’un centre opérationnel de haut niveau. Ces exemples précis démontrent que, malgré tous les systèmes, c’est bien l’homme, et ici l’officier qui donne à l’outil son efficacité et sa force.
Il invite le stagiaire à développer sa capacité à comprendre, à s’adapter, à décider et à faire respecter ses décisions pour que notre armée évite la défaite du « mois maudit ». Enfin il rappelle de façon parfois cruelle que la guerre reste l’affrontement des volontés et que c’est dès le temps de paix que les chefs militaires doivent s’y préparer

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